Nuages et précipitations Février 2039

Février 2039

Ouest Monde

Nuages et précipitations 

Tout était allé plus vite qu’il n’avait été dit. Comme d’habitude, les discours n’avaient été tenus que pour maintenir une opacité générale permettant la mise en place de ce nouveau monde qui, dès les années post 2008, avait généré des guerres intestines sans merci pour garder ou conquérir le pouvoir sur les neuf milliards d'êtres humains que comptait la planète. Clairement, l’information et le divertissement mais aussi l’alimentation, avaient été de puissants anesthésiants, à l’exemple des stades de Barcelone, Munich, Los Angeles ou Paris, qui même dans les années «  jaunes » n’avaient jamais été aussi remplis.

Ce qui existait déjà mais sous une forme acceptable était maintenant installé comme une norme structurelle de la société dans le monde entier.

Vingt ans auparavant, quand la démocratie ou la liberté servaient de récits communs, si d’un bord à l’autre d’une avenue, la vie changeait, on pouvait croiser toutes sortes de gens, au stade donc ou dans les rues, les centres commerciaux, les bureaux de vote.  A l’exemple des vols aériens commerciaux, les différentes classes partageaient le même comptoir d’embarquement. Symboliquement, ce n'était pas le même voyage mais bien le même départ et la même destination. 

Maintenant tout était clairement séparé. Les frontières réapparues dès le milieu des années 2010, étaient arrivées au cœur même des villes. Au sens strict, ce que les systèmes ségrégationnistes avaient été obligés d’abandonner, l’économie mondialisée l’avait de nouveau imposé comme une loi naturelle.

Après les soulèvements meurtriers de la précédente décennie, personne ne contestait plus ces barrières, ces murs hérissés de barbelés, ces sociétés paramilitaires chargées de la sécurité des quartiers où l’élite pouvait vivre, hyperconnectée au reste de la planète, se retrouvant aux bars des Green clubs de Marrakech ou d'Aruba, s'accouplant dans les somptueux palaces au pied des Snow Parks de Gstaad, Courchevel ou, grande sensation, de Ryad , continuant ainsi de dominer le monde. Tout y était délicieusement artificiel. 

Dans les zones géographiques où le dérèglement climatique était marqué par des chaleurs ou des précipitations extrêmes, les sociétés immobilières offraient de plus en plus les services de compagnies privées de pompiers, d’une grande efficacité il faut le dire, garantissant des prestations, certes chères mais d’une très rare qualité  en terme de rapidité, ce en toutes situations, utilisant une flotte d'hélicos, de drones et autres Pro.I.Bot. Tout pouvait être réduit en cendre ou enfoui sous des tonnes de neige aux alentours, les grandes propriétés étaient à chaque fois épargnées de la violence des incendies ou des froids polaires.

Pour le reste de la société, toutes les classes étaient amalgamées dans des espaces imbriqués ce qui posait pas mal de problèmes, notamment celui de la quasi sauvagerie constatée dans tous les trafics, drogues, armes, êtres humains, organes , qui, bon d'accord permettaient au PIB de ne pas dégringoler mais se chiffraient en centaines de cadavres quand les cartels s'affrontaient pour la possession de tel ou tel territoire,…

Les Serviteurs, comme on les appelait, s’ils arrivaient à s’organiser, pour les écoles ou les services santé par exemple, ne pouvaient éviter de cohabiter en proximité avec les purs Esclaves et surtout les Inutiles venus des quatre coins de la planète à la suite des grandes migrations climatiques.  Les Intelligences artificielles avaient beau être fiables à 99% maintenant, surveillant tout, les flambées sociétales, manifestations ou émeutes étaient fréquentes.  La procession d’un Colt ou Beretta, suivre des cours de tirs avaient remplacé la tondeuse à gazon ou les séances de yoga. Pour sûr, dans ces zones-là, l’espérance de vie avait nettement baissé, impactée par les maladies dues aux pollutions de l'air ou de l'eau, les addictions, les homicides ou les suicides, maintenant habituels chez les moins de seize ans. Pareillement, même si des systèmes scolaires subsistaient, le QI avait chuté en même temps qu’augmentaient les audimats des émissions dites populaires et le nombre de connexions faites à partir d’un smartphone. Victor Hugo avait dû se retourner mille fois dans sa tombe.

C’est quand la Chine annexa Taiwan et que l’Amazonie passa définitivement aux mains des conglomérats industrialo-miniers internationaux que ce XXI siècle eut son visage définitif. La disparition du dernier ours blanc, la fonte accélérée du peu de banquise qui restait ne furent des surprises pour personne.  

La barbarie était revenue.

HDN FEVRIER 2019