Hards Times

par HDN Dalle  -  17 Septembre 2019, 18:15  -  #textes, #photo, #musique

Hards Times

 

Sept mois, janvier/juin :

 Fleuve, pirogue, quatre quatre déglingué, pistes défoncées, rues de terre écrasées de soleil,  rues de terre inondées d’eau rageuse ;  sueur, sueur dès sept heures du mat jusqu’à pas d’heure, sueur collée aux basques sous ciels bleu acier, noir pierre, gris granit, blancs linge avec toujours des oiseaux qui, haut, font des danses sacrées ; nuits écrasées de pluies, nuit à regarder tourner la voie lactée, à écouter les sound system du Suriname ou du Brésil juste en face;  forêt, l’immense forêt, à perte de vue, percée par l’orpaillage clandestin  où se cachent les derniers animaux libres; visages éclatés de sourire jusqu’aux  yeux, visages éclairés de Bonjour comment ça va, visage ouvert à la vie malgré la vie dure des fleuves ;  puis l’océan, l’océan qui me parle des hommes et des amours, avec toujours, au loin, une barcasse blanchâtre qui s’en va, qui s’en retourne, avec à bord des  hommes-marins, damnés dès leur naissance, qui chantent, le corps coupé par la fatigue, le sel, le soleil, le gasoil du moteur…

 

Juillet, hards times. 

Vol de nuit, avion triple 7, plateau repas, vidéo à la demande, clim, fauteuil réglable, steward Avez-vous besoin de quelque chose, nous vous souhaitons un agréable voyage ; dormir un peu parce que mon père, mon père qui se meurt un peu plus chaque jour…

Arrivée,  Orly 3, sept heures du mat…

Des écrans, des écrans partout dès le hub, dans les couloirs, au guichet passeport, au scanner facial, aux portes avec caméra, dans la salle des valises qui se valdinguent…

Dans le hall, encore des écrans, puis des boutiques, des boutiques, des boutiques  avec des tas de gens qui achètent, achètent, avec en fond sonore,   des messages toutes les trente secondes ; puis encore des écrans qui, eux aussi,  changent d’image toutes les trente secondes, avec, photos géantes, des top-modèles homme femme, tous jeunes, tous faux, au corps parfaits, sourire aux lèvres ;  et puis, plus grave, des tas de gens, tête baissée, rivés sur leur smartphone,  des gens qui ne se parlent pas, qui ne se parlent plus, qui ne se regardent pas, qui ne se regardent plus…

Alors que dans la cohue, je cherche le frère d’une amie aimée, qui sera bien là, une phrase me vient. 

Mais comment font-ils pour danser encore cette danse de mort, alors que le monde, notre monde, s’effondre ?    

Quelques heures plus tard, j’irai mettre de l’essence dans la voiture de mon père. Alors que je remplis le réservoir à l’automate, un putain d’écran montrant une plage des caraibes où s'ébat une famille heureuse, me dira " Bonjour, je suis là pour vous aider " rajoutant qu’il y a, aujourd’hui même, des promos à ne pas rater dans l’hypermarché du complexe commercial d’en face, tout en me proposant de payer à crédit. " Au revoir, merci de votre visite " conclura robotiquement la transaction bancaire...

Comment font-ils pour continuer à danser encore cette danse macabre ?

 

HDN Septembre 2019

 

PS : deux jours après, pris dans un embouteillage monstre, un peu paumé, je louperai de peu la bifurcation pour prendre la direction de l'autoroute. De quelques mètres, je franchirai la ligne blanche, sans aucun risque pour personne, clignotant mis. Les flics seront là….Leur écran dira " amende 180 euros " et 3 points, envoyant celle-ci en Guyane, refusant de prendre mon adresse temporaire, car non enregistrée sur  la base de données...Aligné, doigt sur la couture, obtempérer….Sûr, tous les Gilets jaunes, popular heroes of the twenty-first century, doivent être informatiquement fichés...

Une semaine plus tard, Gare de Lyon, rame TGV, un homme, cinquante ans,  court et se heurte au portillon qu'il a vu se fermer. Sa mère a été transportée à l'hôpital, entre vie et mort. Train encore à quai, l'écran des contrôleurs dira " Non valide, en retard "...En larmes, il verra le train partir…Et personne pour lui dire deux mots alors que des centaines de passants sont tout autour...J'irai le voir, il me racontera son histoire….

Comment  accepter de continuer à danser cette danse là ?  

Human is the last Internationale  

PS ; en lien 3 , un article sur les ravages des écrans ! 

 

 

Soundtrack...The Last Internationale…. 

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