Bassem ou voir se lever le jour
Il avait réussi à traverser la frontière Ouest de son pays en passant par une piste connue par des petits éleveurs de cette région. Dans sa vie, le danger était redevenu de plus en plus pressant. Un à un, les membres de son équipe avaient vu disparaitre des collègues, homme ou femme. Sûr, son tour allait venir.
Après avoir connu l'épreuve terrible du deuil, suite à la mort de sa femme et son fils dans un de ces bombardements sur leur ville, il avait ressenti de nouveau, au fond de lui, la peur, celle de l’arrestation en pleine nuit puis de la disparition dans une de ces prisons dont personne ne sort…
Il n ‘avait pas pu passer par l’Europe, les frontières étant fermées, le Covid s’étendant de plus en plus. Papiers en règle, Il avait pris un billet pour le Brésil. Sao Paulo. Il y était resté deux semaines. Puis, il avait vu arrivé le virus et, de nouveau, la mort pour ceux qui n’ont que peu et, là encore, le silence des autorités qui cachent.
Il remonta vers le Nord, arriva à Oiapock via Belém et Macapa. C’était en Mai 20…Il traversa anonymement le fleuve. Puis ce fut Cayenne où il se déclara rapidement aux autorités préfectorales.
Quand en ce 14 Novembre 20, je rencontrai Bassem K, quarante-cinq ans, lors d’une promenade sur la plage sur laquelle je vais fréquemment en fin de journée, il venait d’obtenir sa carte de séjour au titre d’exilé politique, demandée dès son arrivée, il y a sept mois. Il allait pouvoir rejoindre Paris, voir quelques amis déjà là-bas.
Il allait pouvoir retravailler.
Ingénieur chimiste, il était spécialiste des gaz. Lui et son équipe savaient ce qui c’était passé dans son pays.
La Syrie.
Il ne fallait surtout pas qu’il parle, il fallait le faire taire…
« Vous savez, Bachar, en ce moment, il continue…là-bas. On le laisse faire. Yes, Russians, powerfull, there. ».
Alors que le soleil déclinait, il fixa le ciel d’un regard dont seuls les exilés savent la profondeur, tant aucun retour n’est possible.
Il me dit dans un français mêlé d’anglais « C’est bien ici…On peut voir le soleil se coucher, on peut voir le soleil se lever, chaque jour, sans la peur. On est libre, ici… ».
Quelques oiseaux passèrent au loin…
Après quelques instants de silence, il rajouta alors « C’est la vie...C'est la vie qui est comme ça… »
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Précisions.
Pour ce texte, seul, le prénom a été changé.
Son parcours : départ de Damas, Syrie pour Beyrouth, Liban par la piste, puis, par avion Sao Paulo, Belém au Brésil . De là, en bus, Macapa , puis, fin Février Oiapock, toujours en bus et, enfin, traversant le fleuve en pirogue, Saint Georges, Guyane, arrivant à Cayenne en taxi collectif.
Bassem était content, car, sur le chemin de son exil, il avait rencontré Mohamed, un jeune syrien de 32 ans ; ils ne s’étaient jamais séparés depuis Beyrouth…
Je n’ai pas voulu faire de photo d’eux ce soir-là. Juste les écouter et leur dire qu’ils étaient les bienvenus, ici, en Guyane française, en France qui, encore un peu en cette année de plomb, est une terre d’accueil.
C’est son regard, le regard qu’il m’a adressé après que je l’aie salué, qui m’a fait m’arrêter et lui parler.
Quelque chose y brillait, entre la peine, l’intelligence et le courage. Il s’était senti existé dans ces quelques mots, que s’adressent souvent les gens d’ici sur ce bout de plage. « Bonsoir Monsieur, bonne promenade ».
La civilité.
Voilà bien un mot qu’il nous faut garder et faire vivre charnellement chaque jour entre nous,nous qui marchons à pieds sur les routes, les chemins, les pistes, les sentes, les plages, le long des barrières des villes, en ces temps de repliement derrière murs, écrans et ressentiments…
HDN Novembre 20
le clip est superbe
version de Christophe....L'émotion est là....Celle de France Gall comme celle de Christophe