The final Round Up, Go Back to the River ( 5) part One
Il pleuvait et rien ne semblait pouvoir arrêter le fleuve de grossir de jour en jour.
Dès le mardi, nous commençâmes notre mission, traversant le fleuve chaque matin, pour aller dans ce qui peut s’apparenter à un village mais qui, pour moi, est plus un assemblage de quelques barraques de bois avec deux écoles et un collège, juchés sur le flanc et le haut d’une colline parsemée de manguiers. En bas, près de la rive, deux pontons pour les pirogues, amenant chaque jour une centaine d’élèves, une « mairie/poste » devant laquelle attendent chaque jour des dizaines d’amérindiens, une épicerie, où rapidement s’amassent les cartons de bières et des types au regard noyé d’alcool. En face, un camp de la Légion étrangère d’où l’on voit partir des zodiacs kakis surpuissants pilotés par des militaires, têtes rasées.
Ici, Il ne vient à personne l’idée de faire de l’anti militarisme primaire car de l’autre côté, c’est « le Brésil », et dans ce pays là, cà ne rigole pas, mais pas du tout….
New Brasilia est un ensemble de maisons en tôle ou en bois où l’on trouve de tout : des coques de pirogues en aluminium, du gasoil, des groupes électrogènes, des boites de conserves, de l‘alcool. A cinq heures de l’après-midi, New Brasilia se transforme : les hangars se changent en dance floor, les spots tournent, les bars remplissent leur frigo, les putes sont déjà là, prêtes, à l’ouvrage…Arriveront de nulle part, des orpailleurs clandestins, venus tout droit de la forêt pour « dégoupiller », se soulant au rythme des sonos poussées à fond. Clairement, la nuit, il ne faut pas venir seul trainer sur ce bord de fleuve. On sait, car on le sent, ici se règlent les affaires sur le champ. Il y a partout comme une violence de bout du monde répondant à la dureté du climat et la souveraineté du sauvage.
Dès le premier après-midi, mon ami universitaire donna une conférence qu’il compléta par ses observations faites le matin même. Grand travailleur, intelligence hors norme, homme de terrain, lui qui ne connaissait ni le milieu ni la culture amérindienne, fut remercié par l’ensemble des personnels convoqués.
Le soir venu, au camp, autour de la table, la bonne humeur chassa l’humidité et la fatigue : les différentes équipes avaient fait leur première journée et, ma foi, cette mission de prévention du suicide commençait bien pour tout le monde. Je pus faire meilleure connaissance de Marie Anne, ethnologue, qui, parmi ces nombreuses expériences, avait longuement séjourné en Guinée Conakry, pays que je connais pour y avoir vécu plusieurs semaines sur deux ans . Boulbiné, Kipé, Ratoma, Nongo, quartiers de cette ville lagunaire furent évoqués ! De plus, originaire de Gers, ses racines familiales étant d’ Estrang, avec son fort accent, elle parla « Sud Ouest » avec mon ami conférencier, pyrénéen de sang et d’âme pour toujours. La chaleur de leur voix nous fit rire et rêver. De sacrés caractères, ces deux-là…
Au petit matin du deuxième jour, les pluies de la nuit et, certainement, le nombre de personnes sur le camp, firent que, sans eau dans les sanitaires, nous nous retrouvâmes les fesses dans le fleuve pour faire toilette ( en amont) et besoins élémentaires( en aval). La pluie étant là, nous partîmes protégés par les capes de pluies. Nous nous séparâmes, réunion et formations pour les uns, visites pour les autres.
Avec mon ami, nous revînmes les premiers, mettant à profit ces heures d’après midi pour débriefer sur ce que nous constations : une précarité de presque tout alors que nous faisions le maximum pour aider, former, conseiller le personnel en poste.
Je le compris tout de suite. Dès le retour de l’ensemble des équipes. Quelque chose s’était passé. Les visages étaient gaves, le silence aussi épais qu’un brouillard de novembre, plus lourd qu’une chappe de ciment.
Dans un campou, situé en amont, à cinq heures de pirogue, alors que les instituteurs en poste là-bas étaient arrivés la veille au soir, un amérindien avait retourné son fusil contre lui. Nouveau suicide. Un de plus. Nous fûmes tous atterrés. Alourdis. Sidérés. Plombés.
( à suivre)
HDN Février 2018