The Final Round Up, Go Back to The River ( 5) part 2

par hervé Dalle Nogare  -  13 Février 2018, 03:46

Dans un campou, situé en amont, à cinq heures de pirogue, alors que les deux institutrices et le remplaçant, en poste là-bas étaient arrivés la veille au soir, un amérindien avait retourné son fusil contre lui. Nouveau suicide. Un de plus. Nous fûmes tous atterrés. Alourdis. Sidérés. Plombés.

Ce mot est malheureux mais il est juste. La cartouche utilisée par cet homme nous avait touché. J’ai ressenti de nouveau ce qu’est de vivre une défaite, une perte. J’ai eu en moi, ces marches que font dans la boue ces soldats démunis et pourtant encore en vie, cette pesanteur quand, après avoir bataillé, chirurgiens et infirmières notent l’heure du décès devant un corps maintenant sans vie .

J’allumais quelques cigarettes, le regard vidé, l’esprit enroulé autour de son bout rougeoyant. Dans cette sorte de silence, il n’y a rien qui bouge.

Ce soir-là, tout était boueux, sale, crasseux, hideux, pourri, moisi, foutu : ce monde, cette vie post moderne, cette disruption, cette consommation sans fin, cette technologie qui élimine, ces peuples que l’on décime….

Je revoyais les images du matin : la barque presque joyeuse, les salles remplies où chacun officiait avec engagement, les allers et venues de Colette, Silvia, Patricia, Yves, Alain, Boubacar, Manon, Karl, Temy, Marie Laure. Ca bourdonnait, ça donnait, ça convoquait, ça convainquait, ça gagnait partout du terrain sur cette putain de mort, cette putain d’épidémie de suicide qu’on allait pouvoir enrayer à force de courage, de présence, de conviction. Ce matin-là, nous étions tous là, corps et âme, soudés, unis,. Cette équipe composée d'experts guyanais, de profs métropolitains, de coordonnateurs  amérindiens, d'anthropologues français et brésiliens, et même d’un formidable pédopsychiatre sénégalais, ( Boubacar, si tu lis ces lignes, on se reverra!) était venue pour faire reculer cette mort à soi donnée contre le sort …

Puis, ce coup de fusil….

Aucune des discussions ne nous permirent de cerner toutes les raisons de ces actes répétés. Crise de civilisation, d’identité, de loyauté, fin des mondes traditionnels, cruauté de la modernité, tout est juste, tout est incomplet.

Ce soir-là, au cours du repas, je pris une feuille et écrivis sur le coin de la table un texte que je remis à Marie Anne qui, avec un triste  sourire me dit qu’elle essaierait de lire le lire lors de la mise en bière. Il fallait absolument que nous restions sur la face éclairée de la vie, c’est un des rôles majeurs que j’attribue à la poésie au cœur même des tragédies humaines, guerre et autres conflits : garder le regard et le cœur hauts même sur le bord des cratères.

Le lendemain, un hélicoptère vint de Cayenne emporter une partie de l’équipe de Marie Anne pour les déposer dans ce petit village isolé. Nous, nous repartîmes dans le village, continuant le combat, rangs resserrés, âmes prêtes à affronter pluies et incrédulité.

Le soir, revenue de cet endroit du monde où se joue ce drame, Marie Anne nous informa qu’un des villageois avait tiré un coup de fusil de chasse dans le cercueil. Trop grande la colère d’avoir été abandonné, trop forte la misère d’avoir de nouveau la mort comme seule porte de sortie, trop peur de succomber aux mauvais esprits qui rôdent sur les rives du fleuve….

Nous repartions le lendemain. Dernier repas avec sur le cœur cette mort injuste. Je branchai l’ordi, passai de la musique, organisant un blind test. Nous passâmes un « beau moment ». Certains restèrent silencieux.  Il faut vivre partout même dans la désolation. Trois heures de pirogue le lendemain, une heure de piste, puis un dernier repas un Saint George. Nous nous séparâmes. Trois heure trente de route nous attendaient pour rejoindre Kourou…

Voilà, mon ami lecteur ce qui se passe ici alors que neige et fake news tombent tout autour de toi. Le PSG  avait gagné je ne sais plus trop quoi, un ministre avait dérapé faute à une affaire vieille de dix ans, Ango et Ruquier avaient fait le buzz, Airbus avait signé le contrat avec Emirates et Samsung annonçait déjà son Galaxie je ne sais plus combien… Et je m’en fichais totalement….

Car en arrivant, l’ayant laissé car pas  de réseau là-bas, j’ouvrais mon smartphone. Sylvie, une collègue dont l’ex était dans les forces de l’ordre, m’avait transféré une vidéo venue du Brésil. Je faillis vomir après dix secondes, comprenant ce que je voyais. L’horreur absolue. Une exécution à l’arme blanche, le torturé attaché, bras en croix. Je n’écrirai pas la suite, t'épargnant l'immonde. Ceux qui se nomment les « nouveaux barbares du nouveau monde technologique » devraient changer ce nom : ils ne savent rien de ce que subissent les gens d’ici, ceux des forêts, ceux des fleuves. Et tout çà pour de l’or…Je l’écrivais en début de texte : au Brésil, comme au Suriname, où j’écris ce dernier chapitre, ça ne rigole pas, c'est à coup de machette, encore et toujours, que se paient les dettes….L'enfer à ciel ouvert.

Quatre jours plus tard, alors que j’accompagnais mon ami chercheur qui donnait des conférences sur tout le littoral de Guyane, je reçus un message d’Elise, jeune collègue, nommée sur l’autre fleuve frontière, sur un poste isolé.

Pour les méthodes de suicide, elle et nous connaissons l’alcool, le mercure, les pendaisons, les coups de fusils que se donnent les amérindiens pour en finir. Nous vivons avec. Mais … Mercredi 31 Janvier, une fillette amérindienne de son village, douze ans,  s’est suicidée. Elle a ingurgité un litre de Roundup. Fin de la partie. Putain de Monsanto. Putain de monde. Putain d'indifférence. Point final.

 

 HDN février 2018, Paramaribo, Suriname.

 

PS Non… pas fini, ce match :

Elise m’a dit qu’elle tenait encore bon même si c’était le troisième suicide en deux mois…

Puis, nous, l'équipe, nous repartons le 26 février pour un mois entier sur les deux fleuves. Nous les remonterons jusqu'au dernier village.  Nous n’abandonnerons pas le terrain. Nous montons en pirogue avec de futurs enseignants pour que, s’ils sont volontaires, ils s’engagent pour leur premier poste, sur ces frontières où se jouent la vie , la mort, l’amour, la terre et les enfants.

Nous serons là, à leur côté dès Septembre, l’année prochaine. 

Dormez bien , braves gens, la terre continuera de tourner.  Sur les frontières barbares de ce nouveau monde, nous voyons les lunes immenses danser aux milieux des étoiles. Dans ces écoles isolées, nous recueillons le plus de monde possible, surtout les enfants, surtout les enfants....

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