Passeur de lumière (2): lettre à L/G, à propos du poète

par HDN Dalle  -  21 Avril 2019, 22:58  -  #poèsie, #photo, #audio

The Lightman (2) Letter to L.G

English Version following 

A ce texte, voici ma réponse.

La poésie est l’écriture sans cesse renouvelée d’un réel qui fait que le réel existant se décoïncide de ce qu il nous montre. En appui de Bachelard, écrire de la poésie c’est penser contre son cerveau.

La poésie, par les mots, est transfiguration de l’infini en passant par l’extérieur. En cela, elle est vie. Elle est l’essence de la néguentropie dans ce moment de transhumanisme où l’entropie, généralisée, progresse à une vitesse folle, mettant en question la survie même de l’espèce humaine.

Aussi, plus que jamais, le poète n’est pas fou et ne se fait pas voyant mais se doit à sa voyance, menant une vie poétique où l’amour, le beau et le bon sont corollaires, développant une santé et un travail pour maintenir et accroitre sa voyance. Pouvant ainsi l’écrire tel un shaman des temps post disruptifs,  le poète voyant de son âme, visionnaire par ses écrits, embrasse l’humanité entière ainsi que tout le vivant. Allant sans cesse de l’ordinaire où il vit au milieu des autres à la beauté, l’amour, le bon où ses rêves-messages le mènent. Je n’est pas un autre, Je est un monde  " qui parle".

A l’inverse du long, immense et raisonné dérèglement des sens, de par sa vie saine, acquise, solitaire, le poète est multi capteurs, connecté-connectant, voyant-entendant-ressentant, par l’acceptation entière des messages qui lui sont donnés à recevoir, messages pouvant contredire tout ce qui compose jusqu’alors la représentation de l’univers environnant et la pensée même qui les permettent.

Par le fait même de cette acceptation, naturellement révolté contre l’établi, l’Ecrivant, de ce fond inconnu fait remonter la forme, elle-même renouvelée. Le poète, de par l’exercice de son âme singulière, de son art pratiqué dans sa vie même, n’est pas voleur de feu mais passeur d’un instant de la lumière inexplorée.

Ceci remet en question, la tradition prométhéenne du poète, balayant le tragique de cette fonction-là. C’est par la même refonder hors pensée hellénistico judéo chrétienne, la place et le rôle du poète dans son temps et le monde. C’est, à la mesure de la mondialisation actuelle, incorporer les dimensions africaine, asiatique et amérindienne de la poésie, où le/la poète shaman a toute sa place, rien que sa place dans le village des hommes et le paysage. En cela, le génie universel de Rimbaud, seize ans, parle encore….Deuxième lettre du Voyant 15 Mars 1871 :

« Il  ( le poète) est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;

— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra !(…). Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

La suite donne la mesure de la puissance de sa voyance :

« Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable, lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau »

Dès lors, pour le commun comme pour lui-même, il peut y avoir assimilation du poète au déviant, au fou. Il peut y avoir une assignation de sa parole, de ses écrits à une folie à laquelle il est enchainé, ou, au mieux, à un incompréhensible, qui fera lumière bien après leurs prononcés ou leurs publications.

 Le sol de la poésie, c’est-à-dire son histoire est composé par couches successives, des corps décomposés de ces poètes « maudits » qui, ayant rejeté tout académisme, ne purent continuer à vivre dans cette tension, leur perçu et leur possible acceptable, mettant fin soit à leur écrire, soit à leur vie par décisions Or de toute évidence, ce furent bien d’eux qui vint une lumière qui dura bien plus que celle écrite par ceux cherchant prix, place, honneurs et distinction, courtisant académisme et biographie de leur vivant. De Villon à Rimbaud, de Cesar Pavese à Jim Morisson, les exemples se multiplient.  

Et c’est bien un lourd héritage que celui-ci, cette folie exténuante, stigmatisante , handicapante mais sublime, un noir romantisme, une dérive de bateau ivre, qui si beauté il y a, elle n’en n’est pas moins attachée à une sombre destinée, la folie, la mort.

 « Celui qui a contemplé la Beauté, est prédestiné à la mort » ( Thomas Man) ne dit pas autre chose que cela. Et c’est bien ici une trace explicative du mythe d’Icare : la mort, de lui-même ou de son art incompris, assurée à qui veut s’approcher trop, de quelque manière, de l’inconnu du soleil.

Et plus encore. S’inscrire dans cette voie-ci, c’est exemplifier, participer, renforcer, accélérer un consentement à une inaccessibilité du bonheur ainsi qu'à une fin de l’humanité, que « pour l'être comme pour l’espèce humaine, il ne peut y avoir de fin heureuse » que portent non sans raison, les generations successives X, Y , Z, Ninja ( No income, no job, no access).  

C’est ici une limite dont il faut se débarrasser, une frontière qu’il faut traverser, faisant tomber les masques en même temps  que les chaines acceptées des esclavage, la soumission volontaire à laquelle on se livre, cœur et poing liés, déléguant à quelques fous la réalisation des hauts rêves. Il nous faut dépasser les arrières fonds structurant, voile par voile, héritage par héritage, le cerveau et la pensée, pétris par l’inconscient personnel ou collectif qui sont en chacun nous.

Oui j'assigne à la poésie de toujours dire la vie, la liberté, l'amour pour chacun, sans qu'il n'y ait, quelque part, une dégradation, une idée de la mort, une triste conséquence. Oui je l'affirme, celui ou celle qui a contemplé la beauté, la bonté, l'amour est prédestiné.e à la vie.

Si, comme l’écrit Rimbaud, parce que tout est devenu matérialiste « la poésie ne rythmera plus l’action, elle sera devant », la poésie est, plus que jamais, ce ghost in the machine.

Ne pouvant plus attendre tant la vraie folie est en action, le réchauffement planétaire détruisant toute vie, le néant abyssal et glacial n’ étant une possibilité que pour une infime partie des êtres post humanisés, il nous faut, ensemble, réapprendre à marcher dans la nuit. A cette hauteur-là, fraternelle, joyeuse, devant, il y a bien, le bleu d’une aurore. Là est la Voyance, que d'autres reprendront, l'étendant au plus loin de leur âme nouvelle, prolongeant de leur propre art poétique la bifurcation, arrivant, dans trois quatre ou cinq générations, à créer des nouveaux jardins au milieu des pierres. Les cathédrales redeviendront végétales, la forêt y sera nation.  

 Bien éloigné des habits du fou dont il a été affublé jusqu’à s’en glorifier, c’est là, dans ce dire écrire, ici et maintenant, dans la vie, que se situe le poète, ayant traversé le fleuve, par delà les frontières connues.

 

Bien à vous chère Liliana.

HDN Avril 2019

 

 

Passeur de lumière (2): lettre à L/G, à propos du poète

To this text, here is my answer.
Poetry is the ever-changing writing of a reality that makes existing reality unconnected with what it shows us. In support of Bachelard, writing poetry means thinking against one's brain.

Poetry, through words, is a transfiguration of the infinite through the outside. In this, she is life. It is the essence of negentropy in this moment of transhumanism where the entropy generalized.progress at a crazy speed, questioning the very survival of the human species.
Also, more than ever, the poet is not crazy and does not become seer but is due to his clairvoyance, leading a poetic life where the love, the beautiful and the good are corollary, developing a health and a work for maintain and increase his clairvoyance. Being able to write it like a shaman of post-disruptive times, the poet who sees his soul, visionary by his writings, embraces the whole of humanity and all living things. Going continually from the ordinary where he lives among others to beauty, love, the good where his dreams-messages lead him. I am not another, I am a world who speaks.
Contrary to the long, immense and reasoned disturbance of the senses, by his healthy, acquired, solitary life, the poet is multi-sensor, connected-connecting, seeing-hearing-feeling, by the whole acceptance of the messages which are him given to receive, messages which can contradict all that composes until then the representation of the universe surrounding and the very thought which allow them.
By the very fact of this acceptance, naturally rebellious against the established, the writer, from this unknown background makes up the form, itself renewed. The poet, by the exercise of his singular soul, of his art practiced in his very life, is not a fire-thief but a passer-by of a moment of unexplored light.
This calls into question the Promethean tradition of the poet, sweeping away the tragic of this function. It is by the same refounding out of Hellenistico Judeo Christian thought, the place and the role of the poet in his time and the world. It is, to the extent of globalization today, incorporate the African, Asian and Amerindian dimensions of poetry, where the shaman poet has its place, just its place in the village and landscape. In this, the universal genius of Rimbaud, sixteen years old, still speaks ... .Second letter of the Seer 15 March 1871:
"He (the poet) is responsible for humanity, even animals; he will have to feel, palpate, listen to his inventions; if what he reports from there has form, he gives form: if it is informative, he gives form. Find a language
- Besides, any word being idea, the time of a universal language will come! (...). This language will be soul to the soul, summing up everything, perfumes, sounds, colors, thought hanging thought and pulling. The poet would define the quantity of unknown awakening in his time in the universal soul: he would give more than the formula of his thought, than the notation of his march to Progress! Enormity becoming standard, absorbed by all, he would really be a multiplier of progress!
The following gives the measure of the power of his clairvoyance:
"These poets will be! When the infinite serfdom of the woman is broken, when she lives for her and through her, the man, hitherto abominable, having given him his dismissal, she will be a poet too! The woman will find the unknown! Will his worlds of ideas differ from ours? She will find strange things, unfathomable, repulsive, delicious; we will take them, we will understand them.
In the meantime, let's ask the poets of the new »
Therefore, for the common as for himself, there can be assimilation of the poet to the deviant, to the madman. There may be an assignment of his word, his writings to a madness to which he is chained, or, at best, to an incomprehensible, which will light well after their pronouncements or their publications.
 The soil of poetry, that is to say, its history is composed in successive layers, decomposed bodies of these "cursed" poets who, having rejected all academicism, could not continue to live in this tension, their perceived and their possible acceptable, putting an end either to write to them or to their life by decisions Gold obviously, it was from them that came a light that lasted much more than the one written by those seeking price, place, honors and distinction, courting academic and biography of their living. From Villon to Rimbaud, from Cesar Pavese to Jim Morisson, examples multiply.
And it is a heavy legacy that this one, this grueling, stigmatizing, disabling but sublime madness, a black romanticism, a drunken boat drift, which is so beautiful, it is nonetheless attached to a dark destiny, madness, death.
 "He who has contemplated Beauty, is predestined to death" (Thomas Man) does not say anything other than that. And here is an explanatory trace of the myth of Icarus: the death, of
itself or of its misunderstood art, assured to whoever wants to approach too much, in some way, of the unknown of the sun.
And more. To join in this way is to exemplify, to participate, to reinforce, to accelerate a consent to an end of humanity, that "for the human species, there can be no happy ending" that is not without reason, the successive generations X, Y, Z, Ninja (No income, no job, no access).
This is a limit that we must get rid of, a border that must be crossed, bringing down the masks at the same time as making the accepted chains of slavery fall forever, the voluntary submission to which we give ourselves, heart and fist linked. We must go beyond the rear fund structuring, sailing by veil, inheritance by inheritance, brain and thought, kneaded by the personal or collective unconscious that are in each of us.
If, as Rimbaud writes, because everything has become materialistic "poetry will no longer punctuate action, it will be before", poetry is, more than ever, this ghost in the machine.
No longer able to wait as the real madness is in action, global warming destroying all life, the abyssal and glacial nothingness being a possibility only for a tiny part of posthumanized beings, we must, together, relearn how to walk in the world. night. At that height, fraternal, joyous, before, there is, the blue of a dawn.
 Far from the clothes of the madman he has been decked out to boast of, it is here, in this writing, here and now, in life, that the poet is situated.

Yours dear Liliana.
HDN April 2019

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
A
Vivre c'est parler, échanger, écrire et apporter sa petite pierre d'amour à la construction d'une humanité révélée avec toutes ses émotions sans l'accabler pour une norme décidée au bénéfice de quelques-uns .
L
Merci pour ta réflexion à propos du texte de Rafael Courtoisie, et que j´ai essayé de traduire dans le plus grand respect, pour le partager avec toi, un des plus beaux textes que j´aie jamais lu. Merci pour tes pensées, pour ton regard sur le monde et sur l´intangible, sur ce qui est essentiel à la vie, un regard qui va toujours plus loin, plus profond, qui arrive là où tout se passe, pour tes messages d´amour universel, pour la beauté de ton écriture. Merci d’ être là pour nous passer ta lumière, à tous, comme tu dis très bien, peu importe l´hémisphère.