Tout ce qui vit tout ce qui se construit meurent
Contre point à un incendie
Tout ce qui vit, tout ce qui se construit, meurent, se détruisant par accident ou usure. Tout s'érode, se modifie, disparait : êtres vivants, civilisations, continents. La Terre même disparaitra, brûlée par le destin du soleil, lui-même effondré.
Peut-on imaginer que cathédrale, château ou Trade center puissent échapper à l’entropie, loi fondamentale de ce qui nous compose ?
Peut-on imaginer encore une " éternité" ou pour le moins une très très longue durabilité aux « monuments » de toutes sortes de choses que les civilisations et êtres humains érigent, qu’elles soient lois, œuvres, religions, croyances, technologies, art, etc ?
Non, bien sûr. Continuer de croire cela, c’est refouler le tragique qui est notre condition, tragique qui n’est pas synonyme de malheur. Bien au contraire.
A vouloir reconstruire quasi à l’identique ce qui a été détruit, c’est faire durer l’angoisse et la pulsion de mort qui ont amené à cette destruction. C'est ne pouvoir, toujours pas, supporter le son du silence, préférer le pharmakon à la conscience.
C’est vouloir s’accrocher à une vaine croyance de « résurrection », préférant une reproduction de ce que je considère comme faisant partie du système esclavagiste, principe menant le monde entier depuis des millénaires, et qui a conduit ce monde là où il en est actuellement, c’est-à-dire très proche de son effondrement, total, la vie y étant purement et simplement éradiquée d’ici une quelques centaines d’années si l’on y continue à vivre comme on vit actuellement. C’est encore croire aux récits de vainqueurs, aux contes et légendes. A travers ce fait divers, à l’échelle géologique, biologique, l’humanité me semble être encore dans une petite enfance, pulsionnelle, entre stade oral où s’expliquent les addictions et stade anal où apparaissent les rapports de domination, de procession et de pouvoir.
Il faut entendre « esclavagisme » dans tous les domaines : entre races, castes, classes, genre, de l’homme sur la nature, des hommes sur les femmes, des aristocrates sur les peuples, des peuples dit avancés sur ceux dits en développement et bien sûr, de l'individu sur lui même.
Reconstruire quasi à l’identique, c’est reconduire un système de domination qui a vacillé et que les dominants, qui se font entre eux une guerre impitoyable, ne veulent en aucune sorte voir disparaitre.
Alors que l’on pourrait imaginer des architectures mixant le passé et le présent, à la fois mémorielle et visionnaire, faisant témoignage aux générations futures des avancées de la pensée réalisée d’humanité, mettant en œuvres des technologies signifiant une trajectoire, un récit contemporain et porteur d’avenir, dans ce moment précis où nous n’avons que dix ans pour réagir face aux changements majeurs climatiques, se préfère le rebâtir du théâtre des ombres, quand bien même il est percé de quelques vitraux où se filtre la lumière comme un succédané à la vérité de la pure lumière du réel.
Ruines, poussières et cendres sont donc bien nos destinations...Rien de plus. A l'heure où disparaissent, à cause d’aucune autre cause que nous, et ce à jamais, des écosystèmes entiers et des milliers d’espèces, cet incendie, péripétie d’un accident patrimoniale, médiatiquement spectaculaire, politiquement très bénéfique, est un des grands symptômes de l’effondrement manifeste d’un mode de pensée et de vie. Le post humanisme, phase déjà là du transhumanisme supérieur peut continuer de se développer, de prospérer dans les hautes sphères de nos aristocraties mondialisées, les peuples étant toujours sous anesthésie générale, contrôlables.
Avec leurs offrandes pharaoniques, les ultra riches, en grands seigneurs, alors qu’ils sont décideurs faisant que ce monde est ainsi, ultra clivé, asservissent un peu plus les peuples à leurs conditions d’impuissance, scénarisant une « union nationale », espérant rétablir le calme dans le pays agité, le ramenant dans le récit ou concert international, européen et mondial, monde inquiet de tant d’agitation prérévolutionnaire qu’est celle des Gilets jaunes.
Paradoxalement, la violence n’est dans l’incendie. Et rien ne change dans ce monde qui lui se bouleverse comme jamais depuis six millénaires, au point d’être dans moins de cinquante ans, invivable. En tout premier, pour les trois quarts de l’humanité qu’on laisse dès à présent sur le bas-côté. Il y aura donc une nouvelle cathédrale Notre Dame, vrai faux ou faux vrai monument, comme l’écrivait Umberto Ecco, pour y prier….
Ce qui brûle, ce n’est pas Notre Dame de Paris, incendie circonscrit, plan de reconstruction déjà financé, c’est la cathédrale naturelle de toute notre planète entière. A croire que l’Homme tient absolument à disparaitre et à accélérer le principe entropique.
HDN Avril 2019