Il n'y a que des commencements

Peu après la mort de mon père, reparti comme le font les voyageurs sans pays, alors que la pirogue frissonnait dans le calme de ce début d’après-midi, je regardais les grands arbres, rêveurs eux aussi. Le temps se dépliait à chaque saut, chaque îlot dépassé…

La pirogue remontait le Maroni, vert, marron, blanc dans ses flancs, dans ses flots ; les aigrettes bleues frisaient de leurs ailes le visage du fleuve ; les roches noires luisaient sous le soleil cuit de bleu ciel ; la terre, bleu poterie amérindienne, me parlait dans la langue partagée par le végétal, le minéral et l’animal…

Je fus comme saisi …

Je me souviens avoir dit au piroguier « Fais demi-tour, Ainame, j’ai oublié de vivre »

Il hésita puis sachant lire mes yeux, il prit un large virage.

«  Je n’ai jamais su vivre » lui-dis-je….

 « Il y a la mort, bien sûr, mais avec elle, il n’y a que des commencements. Il n’y a pas d’amour, pas de je t’aime ; il n’y a que des tu es aimée, tu es désirée, des je te donne, je te donne ce dont tu as besoin »

« Tu as donc compris ce que te disait ton voyage… » murmura le piroguier shaman, au vent venu de la vaste Amazonie…

Grand sage, passeur de rive au silence mage, il me déposa à temps, au dégrad de Maripa, en face de chez Llajani et César que je saluai d’un grand «  A bientôt, mais là je repars »,  pour prendre le dernier avion…

Du hublot, je vis resplendir un soleil nouveau.

Commencement….

HDN Avril 2020 .