Entre deux mondes
Entre deux mondes
(les échelles de Lélouma)
Entre deux mondes
Il nous faut descendre, descendre, descendre
Lorsque l'on ne voit plus rien, que l'on se cogne la tête contre les murs
dressés de chaque côté du visage
avec la seule possibilité de marcher les bras serrés
Il nous faut parfois descendre, descendre, descendre
Lorsque la lumière ne se fait plus, que l'on ne sait même plus si l'on désire ou obéit,
si l'on vit ou suit
si on rêve ou copie
Il nous faut descendre, descendre, descendre
Lorsque les nuits n'ont plus de goût, que le sucre du jour est amer,
que les matins n'ont plus de différence,
que nos mains ne peuvent plus saisir le temps
Il nous faut descendre, descendre, descendre
lorsque toutes nos rues sont fermées, hérissées de barrières métalliques
que des quartiers entiers de notre droit d'exister
disparaissent derrière des palissades de tôles
Il nous faut descendre, descendre, descendre
Il nous faut réapprendre
à desceller les plaques d'égout, les dalles des souterrains, les grilles des galeries abandonnées
et rouvrir nos failles.
Il nous faut réapprendre
A tresser des cordes de lianes
que la douleur sourde des pluies urbaines ont fait pousser dans notre regard
Il nous faut les jeter
dans cette nuit que l'on a voulu oublier
en acceptant le pacte des villes et du vieillir
Descendre
Avec l'énergie dont on se croyait plus porteur
Le long des parois de notre âme
Fendue par le temps perdu
Lissée par le temps sans vie
Poncée par le temps renoncé
Polie par le temps subi
Descendre
Au centre des ronces, dans le cœur des silex,
De ce qu'on a accepté
De tous ses ongles, griffes, larmes, sueurs,
Écrire de ses mains
Sa longue marche
D'un seul trait de lumière
Descendre
Barre après barre
Degré après degré
Mains après pieds
Peur après peur
Cri après cri
Descendre
De son été sans fin et aveugle
A ses automnes où même se meurt l'ennui
Descendre
De l'automne sans commune promesse
A nos hivers et son gel
Descendre
De l'hiver à la nuit totale
Cette nuit infinie qui nous ensevelit, sans bruit
Descendre
La main armée
Du seul trait de lumière
Possédé
Ce souffle premier
En nous gravé
Descendre
De la nuit à la glace
Cette glace pure et sombre où plus rien ne vit
Ni le temps ni le cri
Où tout est figé
Blessures des mots
Pleurs et déraisons
Folies et rêves
Violences et solitudes
Passions et abandon
Ce besoin sans retour d'être aimé
Ces jours où mille fois l'on meurt
A force d'attendre
Les gestes de nos assassins
proches inconnus
Descendre
Dans la nuit de cette glace
Face à face
Avec ce que l'on a soi même tué
D'un geste d'un rien
Par oubli
Par mépris
Pour assouvir
Son instinct de survie
Descendre
A la vertical de nos granits
Recroiser
Strate après strate
Couche après couche
Nos poussières, nos cendres
Nos peurs irrésolues
Nos trahisons jamais avouées
Descendre
Jusqu'à ce dernier barreau
Soumis aux vents et aux courants
Fosse marine, espace sidéral
Là où rien n'est encore mot....
Puis
Ouvrir ses mains
Laissant venir
à soi
La lumière météore
La turquoise
infinie du Souffle premier
Recevoir
Les chants des étoiles
Libre
A la source de nos cris
Nous remontons à la surface du jour
Le soleil dans les mains
Le matin dans les yeux
Libre
Le monde, les rivières, les arbres, le vivant,
le cœur sauvage
Les autres, soi
à aimer
à aimer encore...
HDN 2016
LELOUMA (guinée) des échelles de lianes relient deux"mondes" : celui de la vallée, celui du plateau...