Le courage de l'émerveillement
Il faut un grand courage pour garder en soi l’émerveillement du monde. Car bien plus que celle de l’ombre, grande est la peur de toute nouvelle lumière. La notre, notre soleil intime, plus encore que toutes les autres.
En cela, l’immensité du présent, avec ce qu’elle comporte comme densité et rayonnement, nous liant à l’infiniment petit comme l’infiniment grand, Terre et Cosmos réunis dans une conscience et une connaissance, encore tenues, tient en très peu de mot : l’Autre.
L’Autre, composé comme soi par l’effondrement originel de la première étoile, sorti de l’ombre de l’histoire humaine par des milliers et des milliers de hasards et de choix faits, vécus par son ascendance, et qui marche sous soleil et voie lactée à côté et même temps que nous.
L’émerveillement de sa présence est une constante renaissance du sentiment d’existence aussi tragique soit elle. La fraternité dans toutes ses déclinaisons d’amitiés ou d’amour, est la voie. Les jardins d’Epicure sont des futurs.
Paradoxalement, alors que les nouvelles technologies permettraient cette définitive conscience là, elles nous déshumanisent, banalisant messages et images, nous rendant addicts aux petites décharges d’adrénaline marquées par le « bip » des likes venus d’un peu partout dans le monde, nous écartant du présent physique.
Ce blog n'échappe pas à cette logique. A mon échelle, il pourrait en être une parfaite illustration : la variation du nombre de lectures me procure des doses de plaisir ou de déception. La technologie attachée à cette plateforme de bloggers permettant l'élaboration de statistiques. pourrait conduire à chercher, non plus l'authenticité mais le score, et donc à appliquer les stratégies de " visibilité et lisibilité" que nous recommandent régulièrement les concepteurs de ce site, pour apparaître dans le " classement " hebdomadaire, évitant un " déclassement" selon les fréquentations des pages. La compétition financière et narcissique est partout. Car oui, même ici, la monétisation de ces pages peut se faire. Je l'ai refusée dès le départ afin de garder une totale indépendance et préserver une entière liberté. Le Je et le Vous y sont libres....Seuls les désirs de l'écrire/lire et de la rencontre y sont en œuvre. .
Ces technologies nous donnent la douce illusion d’exister dans une vie où nous n’existons plus en tant qu’être singulier , ni dans le travail tant nous sommes remplaçables, ni dans la consommation nous anonymisant, ni dans nos relations sociales, amoureuses au combien majoritairement recomposées, fragiles, elles aussi soumises au marché performatif d’« être heureux-se ».
Jamais le sentiment de solitude n’a été aussi grand. Jamais le sentiment de souffrance n' a été aussi étendu. C'est un bas moyen âge, un XIX° siècle ressurgissant de ce qu'on pensait légitimement abolis que nous traversons. On peut ainsi parcourir des villes entières sans n’avoir aucun regard profond pour ceux croisés sur les trottoirs. Les inutiles du monde, créés par notre société mondialisée deviennent des invisibles devant nos propres yeux et dans notre regard même, fixés sur nos écrans. Comment pouvons nous nous aimer nous même en vivant ainsi, participant malgré nous à ce monde dérégulé en total disruption ?
La démocratie ne peut survivre à cela. Notre espèce telle que nous la connaissons, aujourd'hui, non plus. Les connexions neuro biologiques changeant sous l’impulsion de ces technologies mais aussi des divertissements et de l’alimentation amenant comme seule base l'immédiateté, ne peuvent que nous conduire à accepter qu'une majeure partie de notre société soit destinée à la précarité (avoir trois " jobs" sera une normalité), l'insécurité et une « démocrature » qui apparaitra seule capable, face à la montée des extrémismes de toute nature, de diriger les peuples soumis aux changements climatiques et aux flux migratoires. Les soubresauts ultra violents, çà et là, ne feront que renforcer le sécuritaire prioritaire. Le terrain est déjà prêt pour l’avenant d’un post humanisme réservé aux castes les plus riches, habitant dans des zones ultra protégées et surveillées comme je l'ai vu au Brésil. .
L’extrême financiarisation, sordide, de l’économie du monde, l’accumulation de fortunes monumentales dont les paradis fiscaux en sont les paradigmes absurdes n’a de sens que dans l’auto régénération d’une infime élite, possédant la main mise sur les plus hautes technologies, dominant tous les systèmes y compris mafieux, ayant ainsi la capacité de maintenir le chaos tout en « éternisant » leur pouvoir…et leur survie, quitte à partir dans quelques petits siècles de l’irrespirable planète que sera devenue la Terre.
En exact écho au néo-libéralisme mondialisé des Start-up nations, où travailler gratuitement mais en tennis, est une règle de départ allant de soi, il faut voir là l'émergence du visage d'un néo-esclavagisme ravageur où mêmes nos intimes vies seront marchandisées, prolétarisées. Esclavagisme finalement jamais éradiqué dans sa nature, de tout temps fondement de l’économie basée sur le profit de quelques uns, non redistribué. La montée nauséeuse des racismes de tous bords n'est qu'une manifestation logique de celui-ci. Ces racismes là, ' migrants, exilés, arabes, juifs, chômeurs, fonctionnaires, retraités, sans oublier les femmes*, victimisant les uns, accusant les autres, sont de plus puissants leviers utilisés par les pouvoirs actuels, se soustrayant ainsi à toute justice possible, apparaissant même, par quelques personnalités providentielles, comme les ultimes recours d'un système pourtant mortifère. « Du pain et des jeux » peut être remplacé par « du Sexe, du Sport et les Avengers ». Tout cela « virtuellement .
La fraternité n’est donc plus seulement une valeur spirituelle, morale, sociale.
Elle est plus que jamais politique, une lutte.
HDN Mai 2018
* Ne jamais oublier que, dans cet hyper monde, le plus bas niveau, dans l'insupportable misère, est subi non pas par des hommes, migrants ou SDF, certes ravagés mais par les femmes " du dehors, des rues", proies sans aucune défense, exposées à la violence la plus abjecte des hommes et de ce monde.
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